Oh no. Une voix féminine s’élève juste à sa droite et Sam se rend aussitôt à l’évidence. Réussir à passer le reste de la soirée à ne converser qu’avec Sara et son fils était peut-être un tout petit peu utopique. Il tourne la tête en direction de la dénommée Cassie qui vient de se présenter à eux. L’avantage, c’est que Sara, décidément sa planche de salut pour survivre à l’épreuve du gala, est toujours prête à préparer le terrain. Elle répond poliment à la jolie rousse, et le jeune soldat n’a plus qu’à suivre son exemple. Il ne peut s’empêcher d’arquer un sourcil surpris, cependant, en entendant la psychothérapeute n’utiliser que son prénom pour se présenter. Lui et son zèle à la limite du psychorigide tiquent à cette étrangeté. Oserait-il, pour sa part, adresser la parole à un inconnu en lançant d’un ton décontracté
« Yo, Sam is the name, how you doin’ ? ». Nope. Il s’en ferait presque sourire intérieurement tant l’idée seule est à des années-lumière de ce qu’il est. Ou de ce qu’il pense être. Bref. C’est son tour. Angoisse ultime et indicible. Le jeune coréen esquisse un petit signe de tête poli qui lui ressemble si bien, accompagnée d’une petite moue timide le rajeunissant irrémédiablement de plusieurs années. Curieusement, il n’a pourtant pas l’air aussi mal à l’aise qu’on aurait pu le croire lorsqu’il répond finalement :
« Je m’appelle Sam également. Sam numéro deux, si vous préférez , sa voix est douce et posée, presque amusée. Il adresse un petit clin d’œil à son jeune homologue avant de préciser :
Sam Park. Enchanté. »Ouf. Ça, c’est fait. Après un sourire supplémentaire en direction de Cassie, il reporte son attention sur Sara, qui répond à sa question.
Spread a Smile. Il ne connaissait pas cette fondation avant ce soir, mais il a pris le temps de se renseigner tout en donnant un coup de main pour installer la salle dans l’après-midi, et la cause qu’elle défend lui a serré le coeur. A vrai dire... S’il s’écoutait, il viendrait en aide à toutes les associations présentes, sans exception. Il y a tellement à faire. Tant de gens à aider. Y songer le ramène bien souvent à sa propre impuissance. Il ne peut pas aider tout le monde. Tout comme il n’a pas pu aider sa soeur. Sam cligne des yeux et empêche obstinément ses pensées d’emprunter cette voie. Pas maintenant.
Il esquisse donc un petit sourire entendu. Bien sûr. Il n’a aucun mal à imaginer Sara venir en aide aux enfants malades et leur offrir un peu de joie et de soleil au milieu d’un quotidien bien difficile. C’est l’évidence même, à vrai dire. Qui n’aurait pas le coeur aussitôt plus léger devant ce sourire doux ? Sam est quasiment persuadé que la jeune femme guérit d’ailleurs les petits bobos à l’aide de bisous magiques. Et que
ça marche. Bref. Il hoche la tête lorsqu’elle ajoute qu’elle connaît également très bien
La Bella Vita. Le jeune soldat n’a pas l’air de s’étonner à la mention d’un mystérieux petit Stitch. Pour avoir passé des conversations animées avec le petit garçon, à discourir d’un peu tout et rien au gré des envies de l’enfant, il ne peut ignorer l’existence de l’adorable petit chien de la psychothérapeute. De nouveau, il esquisse un petit mouvement d’approbation, accompagné du « OUI » enthousiaste de Baby Sam, qui se permet ensuite de faire passer un message fort subtile à sa mère. Que Sam traduit sans peine par un très simple :
« C’est vraiment po juste ».
Il étouffe un petit rire attendri et hausse les épaules avec philosophie à l’attention du petit garçon, message silencieux censé lui répliquer :
« C’est Maman qui a toujours raison, il faut faire avec... ». A la place, il lui répond diplomatiquement :
« Elle n’a pas eu tort, tu sais. Stitch n’aurait pas forcément passé une bonne soirée. Tu as vu la taille des chaussures des dames ? Je n’aimerais pas être un petit chien, ici. » Ce qui n’est pas tout à fait vrai, à la réflexion. Il se rend compte, en prononçant cette phrase, qu’être aussi petit aurait eu certains autres avantages. A savoir : passer inaperçu. Mais en réalité, qu’il s’agisse de la présence rassurante et bienveillante de Sara à ses côtés, ou de celle, stimulante, du petit garçon, Sam commence à réaliser que ce n’est pas si terrible que ça. Il trouverait presque cette soirée agréable, au fond. Le jeune homme a un léger temps d’arrêt lorsque la psychothérapeute lui retourne la question, ne sachant pas si cette dernière s’adresse à lui ou à toute la tablée, et notamment à la jeune femme rousse qui les a rejoints.
« Je suis bénévole également, répond-il enfin, le plus simplement du monde.
Je donne des cours de taekwondo et de méditation pour Fighting for Hope. Étonnant, je sais... » ajoute-t-il avec un petit sourire d’autodérision.
Il est conscient que cette information peut surprendre, et il n’a pas manqué de remarquer la curiosité dans le regard de Sara. Après tout, n’est-ce pas contradictoire ? Lui qui a tellement de difficulté à interagir avec qui que ce soit dans un environnement social aussi « hostile » qu’un gala de charité... comment peut-il, de lui-même, donner des cours à une foule de parfaits inconnus ? Cela frise l’illogisme. Yep. Un paradoxe sur pattes. Oui, mais non. Ce n’est pas la même chose. En réalité, cela lui fait plus de bien qu’il ne veut l’avouer. Lorsqu’il est concentré sur quelque chose qui lui tient autant à coeur, le reste devient secondaire. De fait... si on lui demandait, là, maintenant, d’initier la salle entière au taekwondo, il n’y verrait aucun inconvénient et n’aurait jamais été aussi sûr de lui.
Pour être honnête... Cette envie d’aider les autres est même quasiment frénétique. Il a besoin de cela. Un peu comme s’il essayait de combler un espace laissé vide dans son coeur. Sans jamais y parvenir. Le silence qui se fait soudain dans la salle l’arrache à ses considérations. Il reporte, comme le reste de l’audience, son regard en direction des maîtres de cérémonie qui gravissent les marches du podium et entament leur discours de bienvenue. Sam écoute avec attention les paroles qui planent au-dessus d’une foule silencieuse. Rien ne transparaît sur son visage, mais ses yeux ne semblent pas réellement fixer la scène et les deux silhouettes qui y trônent. Les mots de Gabriel, en particulier, résonnent en lui d’une façon bien singulière, et il sent sa gorge se nouer. Ses doigts se crispent légèrement sur son verre, seul témoignage physique du tumulte dans son esprit. Bien malgré lui, des images se succèdent devant ses yeux, des impressions, des secondes interminables. La poussière qui lui irrite la gorge et les yeux. Les cris. Le bruit des pierres qui cascadent le long de ses tempes. Il finit par fermer les yeux.
C’est finalement le mouvement de Sara, à côté de lui, qui le ramène brusquement à la réalité. Oh... Elle fait partie du spectacle ? Pris de court, Sam cligne plusieurs fois des yeux d’un air ahuri, tandis qu’elle demande à son fils de rester sage en sa compagnie... Et qu’elle lui en laisse la responsabilité. Aussitôt, Sam se redresse, comme si on venait soudain de lui assigner la plus importante des missions. Il est même à deux doigts d’effectuer un salut militaire à l’attention de Sara lorsque celle-ci lui annonce avec sérieux qu’il doit veiller sur la prunelle de ses yeux. Il ne lui en fallait pas autant, d’ailleurs, pour prendre les choses avec le plus grand zèle. Le jeune homme hoche simplement la tête en direction de la psychothérapeute, en un silencieux :
« Vous pouvez compter sur moi », curieusement mêlé à une sorte de
« Merci » qu’on peut sans peine lire dans ses yeux. D’un geste tendre et particulièrement attentionné, il saisit petit Sam, qui lui tendait allègrement les bras, pour l’installer confortablement sur ses genoux
« Ah oui ? réplique-t-il à l’enfant, sincèrement intéressé.
Quel genre de pestacle ? Je ne savais pas que ta maman était une artiste ! » Il sourit doucement, attendri par les yeux pétillants et plein d’admiration de Sam, rivés en direction de la scène où part s’installer sa mère. Le temps d’une fraction de seconde, un autre visage enfantin se superpose à celui du petit garçon. Les mêmes yeux pétillants, le même sourire confiant et plein d’adoration, tourné vers lui, en quête de réponses. Celui de sa petite soeur. Son coeur loupe un battement. Fort heureusement, Samuel le « sauve », d’une certaine manière, avec sa question naïve et parfaitement inattendue. D... de quoi ? Sam s’étouffe à demi, entre rire nerveux et pure stupéfaction. Lui ? Sur scène ? Devant tous ces gens ?
No way in HELL. Cette simple idée fait naître un frisson d’horreur le long de sa colonne vertébrale.
« Je... Euh... C’... Non. Non, je ne pense pas... un éclat de panique traverse soudain ses yeux sombres.
Enfin... on m’aurait prévenu. J’espère... » sa voix s’évanouit alors qu’il jette un coup d’œil alentour, comme s’il avait peur qu’on vienne le chercher pour le forcer à pousser la chansonnette. Non... visiblement, pas de danger immédiat à l’horizon.
Alors que les bénévoles s’installent et s’accordent, Sam saisit l’une des serviettes de table et, pour occuper le petit garçon, lui explique :
« Tu sais, normalement, on offre des fleurs à une artiste quand elle descend de scène après son spectacle. Il faut qu’on donne quelque chose à ta maman quand elle va revenir. J’ai une idée... » Il se met à plier habilement la serviette qu’il a récupérée, jusqu’à former une sorte de rose délicate qu’il dépose dans la petite main de l’enfant.
« Voilà... commente-t-il simplement.
Tiens, essaie. Je te montre. » Il saisit une deuxième et une troisième serviette, l’une pour lui et l’autre pour Petit Sam. Soigneusement, il lui montre, au ralenti, une version ultra-simplifiée de la rose en papier complexe qu’il a sculptée à l’instant, pour lui permettre de parvenir à quelque chose de correct sans jeter le tout de frustration. Il hésite un instant, jette un petit coup d’œil à la dérobée en direction de Cassie, puis finit par demander timidement :
« Vous voulez essayer ? ». Pendant ce temps, le spectacle a eu le temps de démarrer, et il se retourne finalement pour apprécier la prestation de Sara et des autres bénévoles à sa juste valeur, laissant le soin au petit garçon d’offrir le bouquet improvisé à sa maman une fois l’ovation terminée.
- Résumé:
- Sam panique un peu mais finit par répondre à Cassie en se présentant.
- Il s’amuse ensuite des réflexions de Petit Sam et lui assure que son petit chien n’aurait pas été à son aise ici.
- Il n’est pas du tout surpris d’apprendre le nom de la fondation pour laquelle Sara est venue, et répond en expliquant qu’il est bénévole pour Fighting for Hope.
- Le discours des hôtes de cérémonie le renvoie à des souvenirs peu agréables, mais il revient à la réalité et accepte avec sérieux la mission que Sara lui donne : veiller sur son fils
- Il est pris de court quand Petit Sam lui demande s’il montera lui aussi sur scène, et répond par la négative.
- Pour occuper l’enfant, il lui fabrique une fleur en origami, à remettre à sa mère une fois son spectacle terminé, et lui montre comment en faire une autre, avec des serviettes en papier. Il propose à Cassie de se joindre à eux.