L'histoire de ses parents n'était pas plus triste qu'une autre et s'il n'avait aucun souvenir d'eux ensembles ou même dans la même pièce c'est que dès que l'un apparaissait en chair et en os, l'autre semblait devenir fantôme.
Logan s'appelait ainsi, du nom du meilleur ami de son père, il portait donc le nom d'un tueur à gages et dans la famille, cela ne dérangeait personne.
Il savait aussi que ce même homme avait essayé de tuer sa mère une fois. Qu'il n'avait pas raté mais que simplement le commanditaire du contrat annula avant le meurtre en lui-même. Logan-le-Tueur remballa donc son fusil-sniper avant de sonner chez la diplomate américaine histoire de prendre un café. Hors de question d'avoir fait tout ce chemin pour rien, surtout qu'ils étaient bons amis également...
Et puis il avait parlé à la jeune femme de la tentative de meurtre, n'ayant pas reçu d'ordre précis à ce sujet. Elle ne le gifla pas, l'autre n'avait fait que son travail, lui proposa juste une nouvelle tasse de café. Il accepta, elle cracha dedans, la remplit à nouveau, la lui tendit et le regarda boire sans lui laisser le choix.
Cette femme, enceinte de quelques semaines.
Plus tard dans la soirée, une fois Logan-le-Tueur parti, un autre homme vint la voir. C'était pas le genre à la prendre dans ses bras, c'était pas le genre à la toucher, l'embrasser, du moins pas comme ça. Un homme dur, à l'image de ce petit pays ayant un jour appartenu à l'URSS, qu'il entendait diriger aujourd'hui. Diriger seul, à l'image des tyrans.
Les U.S.A ayant aidé à son ascension au pouvoir, l'homme s'était fait un plaisir de les rembourser en nature, utilisant pour cela la diplomate américaine. Un jeu de dupes comme un autre, cela avait été intéressant, coucher avec l'ennemi.
Le respecter aussi, s'amuser du prochain coup de couteau dans le dos.
A présent, elle était enceinte.
De lui.
Il n'en doutait pas, accepta de le lui dire. Il était en colère pourtant : qu'elle soit restée ici était déjà une insolence en soit. Parce qu'il avait tenté de la tuer l'après-midi même, qu'il n'avait renoncé qu'au dernier moment (bien que l'usage de son meilleur ami impliquât déjà le fait qu'il veuille changer d'avis et puisse se permettre de le faire sans que le tueur n'avance le travail). Elle n'avait pas préparé de sac, n'avait pas demandé d'extradition, rien.
Elle n'avait pas préparé le repas pour deux non plus, et il crevait de faim. L'homme comprit alors deux choses simultanément: ce soir, c'était à lui de cuisiner, et enfin elle porterait son enfant à terme, quoi qu'il en pense.
Quant au fait qu'ils n'étaient pas un couple, rien de nouveau sous le soleil. Alors, plutôt que de l'engueuler, plutôt que de la traiter de putain, il jeta sa veste sur une chaise et commença à éplucher les légumes. Il lui demanda si elle aurait des problèmes avec son gouvernement, elle le rassura. C'était quoi le pire, qu'il le soit réellement, rassuré, ou bien que le bébé qu'elle portait soit considéré comme une preuve de son dévouement dans sa mission d'espionnage par le gouvernement américain?
Elle lui manquerait, de quoi lui faire regretter le meurtre raté parce que elle lui manquerait, qu'un autre homme l'aurait mais que lui ne pourrait retrouver une femme comme elle.
Et puis, parce qu'il restait tyran, il lui imposa le nom de l'enfant à naître.
Logan.
Comme le tueur, oui, presque un frère pour lui. Et parce qu'elle était elle, elle accepta et comprit que cela était la seule déclaration qu'il lui ferait jamais.
”Je t'aime.”Car Logan avait été sa volonté à lui de la laisser vivre, elle.
Et tandis qu'il parlait, il ne sut même pas si au fond, elle le méritait, avec son sourire insolent et ses yeux qui avaient toujours tout eu du piège.
Lorsque plus tard elle se maria avec un prix Nobel quelconque, il envoya pour tout cadeau un bouquet de rose et un colis piégé dont la bombe fut vite désamorcée. Enfin, c'est le geste qui compte, non?
Elle répliqua en empoisonnant les membres de son gouvernement de manière à l'isoler lui, pendant de longues semaines, dans sa politique.
Ca, et puis un dessin de leur fils aussi dans l'enveloppe. Parce que les liens entre un enfant et son père, ça reste important...
L'enfance de Logan, tout comme sa naissance, prit place aux U.S.A. Les différents contacts qu'il a pu ou non avoir avec son père, se trouvent aujourd'hui dans un dossier classifié de la C.I.A. Pour accéder aux informations sur le jeune homme -oui, il est grand maintenant-, il faut être assez haut placé. Rapport que sa mère aussi a bossé dans l'agence gouvernementale, rapport qu'elle a été plusieurs fois ministre également, qu'elle l'est encore aujourd'hui, ce genre de choses...
Et elle même ne peut accéder à tout sur son fils. Il y a ce camps de vacances dans lequel elle l'envoyait, elle s'en veut encore aujourd'hui.
Parce que les recommandations venaient d'en haut, qu'elle n'a pas flairé le piège, qu'elle n'a pas sut tout de suite également.
Après le camps de vacances, Logan tomba régulièrement malade. Il y eut l'hôpital pendant de longues nuits, ou bien les veillées au chevet de l'enfant maladif dans leur propre maison.
Son autre fils aussi, plus jeune, qui s'endormait en chien de fusil devant la porte de son aîné pour s'y précipiter dès qu'il entendait les cris et les cauchemars et lui hurler de se taire, qu'il y aurait pas de monstres.
Qu'il les empêcherait d'entrer.
Et petit à petit, le caractère même de l'aîné sembla changer. On mit cela sur le compte de la maladie, de quelque chose qui se réveillait juste comme ça arrivait parfois. Logan se coupait des autres, alors pour y remédier, comme un cercle vicieux, sa mère le renvoyait dans le même camps de vacances. Son autre enfant, lui, n'avait toujours pas l'âge légal pour y entrer...
Alors que Logan grandissait, on le déclara inadapté socialement. Un diagnostic qui pouvait en cacher beaucoup d'autres. Parmi les enfants ayant participé à ce camps tout au long des années, il ne fut pas le seul à en souffrir...
On déclara également qu'il était à la limite de troubles dissociatifs de la personnalité, comme si le jeune garçon se tenait en équilibre au bord d'une falaise sans pouvoir ni avancer, ni reculer.
On déclara beaucoup de choses en fait, et les réponses ne vinrent pas tout de suite...
Ses bizarreries mentales le coupèrent des contacts humains hormis ceux de sa famille. Il compensa cela par un goût pour les études et, alors qu'il ne semblait être qu'un simple historien reconnu pour tout ce qui était territoire du Proche-Orient, suivit le même chemin que sa mère avant lui : la C.I.A.
Sur son C.V civil, pas mal de diplômes, et puis d'autres aussi de marqués mais simplement dans le dossier à son nom.
Dossier qui existait déjà, parce qu'il était le fils de son père.
Dossier qui existait pour autre chose aussi, comme il le découvrit par mégarde.
Pour le camps de vacances...
Et Logan n'aurait pas dû poser les yeux sur ces documents, mais ils avaient été mal rangé par un autre agent moins consciencieux, et son nom figurait dessus alors dur de s'empêcher de lire, hein?
Le camps, comme d'autres institutions accueillant des enfants dans plusieurs Etats, avait été un sous-projet MK Ultra, la grande expérience toujours reniée par la C.I.A sur les manipulations mentales.
Les expérimentations avaient été sur les enfants, sur les adultes et comprenaient absolument tout et n'importe quoi, de l'injection de drogues jusqu'aux violences sexuelles afin de modeler des psychés et de trouver comment manipuler le cerveau humain.
Si Logan avait été si malade, lui, d'autres gamins avec lui dans le même centre, c'était en raison des nombreuses prises de LSD qu'on leur faisait, de même que les expériences.
Les violences psychologiques, principalement, et parce qu'ils étaient que des gosses, qu'ils obéissaient aux adultes et que la drogue les abrutissait, quand on leur demandait d'oublier, ils le faisaient.
Même Logan.
Il photocopia le dossier, l'envoya à sa mère par simple courrier avec juste une carte “maintenant, on sait”. Et Logan passa à autre chose, il était ce qu'il était, ne pourrait changer alors autant vivre de la meilleure manière qui soit. Pour lui, cela voulait dire par le travail, et puis il n'était pas malheureux.
Il avait ses frères (un petit troisième s'était rajouté au second quelque part dans la chronologie de sa vie), il avait sa mère, son beau-père.
Il avait son parrain Logan-le-Tueur aussi (oui, toujours dans l'ombre, oui, parrain légal), de temps en temps ce qui ressemblait à de l'amitié bien que les amis passent et disparaissent, et puis aussi une personne courageuse pour lui expliquer certaines règles du jeu, assez pour permettre une aventure.
Que Logan ne soit et ne sera jamais comme tout le monde est un fait accepté par tous et quand quelqu'un à l'Agence demande pourquoi celui-ci est ainsi, il y a toujours un poète raté pour lui répondre qu'ici, mêmes les plus grandes douleurs sont...classifiées.
***
Il neigeait sur la campagne anglaise.
Hier soir, la télé avait repassé une énième version de Pride and Prejudice, que Logan avait regardé en relisant Wuthering Heights par pur esprit de contradiction. Dans la cuisine, Will s'occupait de nourrir le chien. Logan abandonna ses lunettes sur l'un des petits guéridons et ouvrit la grande baie vitrée. Le froid entra, les flocons aussi. Il laissa ses chaussons, cela lui semblait mieux, et s'avança alors.
La neige ce n'était ni le sable ni les dunes, la neige c'était autre chose, dangereux quand même pourtant. Will l'appela, inquiet, peut-être pensait-il que Logan n'avait pas pris ses cachets?
(Il en prenait maintenant, pas beaucoup mais un peu quand même, de quoi garder l'esprit clair le plus possible afin que son compagnon, lui, se permette la panique)Ce n'était pas les cachets, au milieu de l'Angleterre enneigée, au milieu du froid et du vent. C'était une demande en mariage, rien d'autre. Avant que la vie ne les rattrape...
La vie les avait rattrapé : l'Angleterre s'effaçait, les Etats Unis revenaient. De nouvelles batailles à venir, et après? "T'occupes pas d'après, restes-en à maintenant", disait sa mère. "Fait pas chier", répondait son père mais avec affection. "Je crois en toi, mon garçon", ça c'était le beau-père. Beaucoup d'affection lui aussi...
Ce n'était pas un océan qui les séparait de leurs proches, lui, Will, c'était un avion. Les avions s'affrontaient, les océans non...alors que le combat commence?