Happily Ever After ∞ Jaden S. Hale

« Question... » lance Jaden en faisant irruption dans le salon, uniquement vêtu d’un boxer noir, son visage échevelé habituel irradiant d’une bonne humeur qui lui donne un air proche de la folie douce. Le seul occupant actuel de la pièce se retourne et, loin d’être ému par la quasi-nudité complètement assumée de son meilleur ami, lui retourne un regard blasé, haussant simplement un sourcil interrogateur. « Hm ? » répond Kezzie en mâchonnant un chewing-gum, une manette de PS4 à la main, épitome même du worst best man of the year. Ou pas. Contrairement aux apparences, au beau milieu de l’atmosphère frénétique... pour ne pas dire électrique de ces derniers jours de préparation, la nonchalance de Keziah a en réalité sauvé un certain nombre de vies, et évité de nombreuses crises de panique inutiles. Si Shade s’est occupée... et bien, d’à peu près tout ce qui concerne l’organisation pratique de ce mariage de rêve à fleur d’océan qu’ils s’apprêtent à vivre, son pendant masculin, le jeune néo-zélandais, quant à lui, a d’abord entrepris de détendre tout le monde, et d’observer un certain nombre de diversions habiles censées calmer les parents des uns et des autres. Chaque fois qu’il entrait dans une pièce où des voix haussaient d’un ton, il étouffait dans l’œuf, d’une banale question, ce qui s’apprêtait à devenir un conflit d’ordre international à propos des couleurs des serviettes ou de la décoration des centres de table.

Contre toute attente, ça a été un travail particulièrement épuisant, dans la mesure où Jaden lui-même, pourtant d’ordinaire l’allégorie vivante du je-m’en-foutisme, a fini par se laisser lui aussi emporter par la folie douce de ces derniers jours... Bien que, dans son cas, il s’agisse davantage de marcher sur des nuages et de danser avec des Bisounours, que de s’angoisser à propos de qui serait installé à côté de qui. Tssss. Bref, quoi qu’il en soit, ils l’ont tous fatigué, voilà. Raison pour laquelle il s’est permis une pause bien méritée devant le nouvel Assassin’s Creed Valhalla, le temps que son Australien de BFF, dans un élan d’autonomie, veuille bien terminer de s’habiller. Tout seul, de préférence. « T’aurais pas vu mon costume ? » Oué, bon. Fail. Il aurait dû s’en douter. Keziah roule des yeux au ciel, appuie sur Start pour éviter un coup de dague malencontreux, et pousse un long soupir en détaillant avec davantage d’attention le visage radieux du surfeur à moitié nu. Si son regard irradie d’une lumière qui lui est propre et dont il connaît très bien l’origine (à savoir, Letizia et le petit être qui se trouvent dans la pièce d’à côté), il n’est pas difficile de remarquer les lourdes cernes et les coins rougis de ses yeux, signes flagrants d’un manque de sommeil dont Keziah a été le premier témoin, réveillé lui-même plusieurs fois la nuit de son arrivée par les pleurs affamés du petit Bastien, avant de trouver refuge chez ce bon samaritain de Scott pour les quelques nuits restantes. « Toi, t’as encore dormi quatre minutes... » constate-t-il platement en pinçant les lèvres d’un air vaguement compatissant. « T’es sûr que tu vas être capable de marcher droit d’ici cet après-midi ? Heureusement que ce n’est pas toi la mariée. On aurait ri. »

Keziah ricane et se baisse instinctivement pour éviter le projectile lancé par Jaden, l’une des milliers de peluches reçues en cadeau pour la naissance de Bastien et dont ils ne savent désormais plus que faire. « Ouvre les yeux, you dummy, reprend-il un peu plus sérieusement en esquissant un geste du menton en direction de la salle de bain d’où vient justement de sortir Jaden. Je te l’ai laissé sur un cintre. Il était littéralement sous ton nez. T’as pas encore dessaoulé, depuis hier ? » Bachelor party oblige, évidemment...

Nouveau projectile, à peine évité cette fois-ci, mais pas de réponse particulière, si ce n’est un mouvement du doigt que nous ne répéterons pas ici pour les âmes innocentes, avant que Jaden ne disparaisse dans ladite salle de bain et ne constate effectivement que le néo-zélandais a vu juste... et qu’il manque sans doute de sommeil. Cette constatation n’empêche pas le jeune surfeur de sourire d’une oreille à l’autre en enfilant son costume de cérémonie, sautillant presque sur place à la manière d’un enfant sur le point de fêter son anniversaire ou de rencontrer le Père Noël. Mieux que ça, même. Tout va très bien. Tout va à merveille. Malgré leur sommeil haché, demi-heure par demi-heure, malgré le tourbillon de choses qu’il reste encore à faire et à penser, malgré l’humeur souvent changeante et nerveuse de Letizia ces derniers mois... Il n’aurait pu rêver mieux. Et il ne changerait pas une seule virgule de leur histoire, et du chapitre suivant qu’ils s’apprêtent à entamer ensemble d’ici quelques heures. Réajustant plus ou moins correctement les épaules de sa veste de costume, le jeune homme croise son visage radieux dans le miroir, auquel il retourne un sourire non moins rayonnant, avant de saisir son noeud papillon, pour l’instant défait, et de le glisser négligemment autour de son cou, bad boy style. Ce détail-là est hors de sa juridiction, il va lui falloir un peu d’aide pour la suite de la manoeuvre, raison pour laquelle il sort à nouveau de la salle de bain, direction la chambre qu’il partage avec Letizia. Il aurait bien été réclamé l’aide de ses mères respectives pour terminer de s’habiller, mais elles, comme les parents Pastore, ont été stratégiquement logés dans un hôtel à proximité, et, il n’en doute pas, sont de toute façon déjà sur place en train de s’occuper des derniers préparatifs et de veiller à la bonne marche des choses compte tenu de l’imminence de la cérémonie. L’imminence. A cette pensée, une colonie de fourmis lui chatouillent agréablement la nuque et il sourit plus bêtement encore.

Il a besoin de la voir. De les voir. Il ne peut plus se passer d’eux. Il n’a jamais pu, en réalité. Mais aujourd’hui paraît plus impérieux encore. Ses pensées ô combien romantiques sont interrompues, alors qu’il traverse le salon d’un pas décidé, par la voix placide de Keziah, vaguement couverte à l’arrière-plan par de violents cris de guerre vikings provenant de la télé. « Tu comptes vraiment y aller comme ça ? » lui demande-t-il d’un mouvement du menton en direction de ses cheveux en bataille ordinaires, laissant entendre qu’il pourrait tout de même faire un vague effort pour l’occasion. Jaden plaque une main sur son crâne, dans le vain espoir de modérer quelque peu le chaos qui y règne, puis fronce les sourcils en constatant que Kezzie, tout critique qu’il soit, n’est absolument pas en tenue lui-même. « Je te préviens, annonce l’Australien avec un haussement de sourcil menaçant, laissant glisser son regard en direction de l’écran de la télé, dans cinq minutes, je coupe le courant. »

Le néo-zélandais a un vague moment d’absence, comme s’il n’avait pas tout à fait compris ce qu’on venait de lui faire entendre, et cligne des yeux, à demi-outré. « Tu n’oserais pas... » Jaden ne répond pas mais lui adresse un regard de défi. Watch me. Puis il entre résolument dans la chambre où... où Shade s’apprête elle aussi à perdre patience, pour une raison bien différente. Jaden arque un sourcil en arrivant au moment précis où la meilleure amie de sa fiancée lui répète (pour la dix millième fois semble-t-il) que tout est prêt et qu’elle n’a pas à s’en faire. Le jeune Australien étouffe un rire en croisant le regard implorant qu’elle lui jette, et hausse les épaules à son attention. I am so sorry, semble-t-il vouloir lui dire d’un coup d’œil compatissant, bien que son sourire radieux démente toute sa bonne volonté.

Jaden tourne ensuite la tête en direction de sa fiancée visiblement angoissée, qu’il couve d’un regard attendri en la voyant bercer le petit Bastien dans ses bras, demandant justement ce qui a été prévu pour prendre soin du nouveau-né le temps des festivités. Le jeune surfeur entrouvre la bouche, version TRAHISON DISGRÂCE lorsque Shade rend finalement son tablier, probablement lassée de rassurer sa meilleure amie à peu près toutes les demi-secondes, et annonce qu’elle préfère aller s’amuser à la Play avec Keziah. NOT YOU TOO. Il lui jette un regard outré, juste avant qu’elle ne mette sa menace à exécution et ne sorte de la pièce, laissant la petite famille au complet... mais pas tout à fait préparée, compte tenu du fait que la mariée n’a pas encore sa robe et que le marié rencontre des problèmes capillaires, entre autres choses. Jaden rit doucement à la remarque sarcastique de Letizia, et arque un sourcil avant d’hocher vivement la tête et de renchérir immédiatement, bien trop de bonne humeur pour laisser passer la moindre occasion de plaisanter : « Très juste. C’est à la couleur de Shade qu’on repère ton degré de susceptibilité, d’ailleurs. Quand elle atteint le rouge écrevisse, en général je garde à peu près cinq mètres de distance avec toi, par mesure de précaution. » L’Australien rit de plus belle avant de s’avancer pour glisser tendrement un bras autour de la taille de sa fiancée, tandis qu’elle dépose avec douceur l’enfant endormi dans son berceau. Il fait claquer sa langue contre son palais d’un air désapprobateur, et dépose un baiser dans le creux de son cou en l’entendant s’excuser de... Il ne sait pas vraiment quoi, mais ça n’a probablement aucun sens. « J’hésite à te pardonner, fait-il semblant de confirmer avec une ironie qui n’échappe à personne. Comment peut-elle seulement laisser entendre qu’il l’ait trouvée insupportable, ne serait-ce que l’espace d’une micro-seconde, alors qu’elle en avait toute la légitimité ? N’a-t-il pas lui-même été invivable, à la suite d’une blessure au genoux qui ressemble désormais à lointain souvenir désagréable ? C’est vrai que j’ai vécu un véritable Enfer... »

Il rit de plus belle, comme pour souligner plus encore l’ironie à laquelle Letizia ne peut échapper, puis la serre doucement dans ses bras, entourant sa taille et se blottissant derrière elle, le menton posé sur son épaule et les yeux rivés en direction du petit être endormi tout près d’eux. « Arrête de dire n’importe quoi, souffle-t-il un peu plus doucement pour éviter de rompre plus tôt que prévu le sommeil de Bastien. Va falloir faire bien plus d’efforts que ça si tu veux vraiment que je te trouve insupportable. Je ne t’ai pas fait beaucoup plus de cadeaux, moi non plus, vissé à mon canapé pendant des mois. Chacun son tour. We’re in it together. » Il laisse passer un petit moment de silence apaisé, avant de la relâcher doucement, son regard toujours attiré en direction du berceau, comme s’il ne pouvait tout simplement pas se rassasier de la vue de son fils endormi, et qu’il luttait violemment contre l’envie de le prendre dans ses bras, sachant pertinemment que ça serait une très mauvaise idée. L’expérience l’avait prouvé. A maintes reprises. « Mes mères viendront chercher Bastien d’ici une petite heure, juste après qu’il ait mangé, explique-t-il d’un ton posé, répondant à la question laissée en suspend par l’impatience de Shade et sa sortie blasée, elles seront bien assez de deux... Ta mère en prime, d’ailleurs, pour faire en sorte qu’il ne lui arrive rien. J’ai préparé le sac, le landau. Ils sont dans l’entrée. Elles auront tout ce qu’il faut. »

Tout va bien se passer, dit-il entre les lignes, bien qu’il partage quelque peu l’appréhension compréhensible de sa future femme à l’idée de ne pas avoir l’enfant à portée de mains ni de regards pendant plusieurs heures consécutives. Une nouveauté, pour les deux jeunes parents qui, depuis la naissance de Bastien, ne s’en sont pas beaucoup éloignés, et qui doivent désormais prendre sur eux et faire confiance à leurs proches pour s’occuper de leur précieux blondinet, afin de se consacrer également à eux. A leur journée. Parce que c’est aujourd’hui. C’est enfin aujourd’hui. Jaden sourit de plus belle à cette pensée, et son corps est secoué d’un rire à peine contenu en entendant Letizia philosopher sur la probabilité qu’ils survivent à ladite journée, compte tenu de leurs exploits lors des fêtes de Noël. Il hausse les sourcils d’un air exagérément effrayé, en se redressant pour lui faire face. « Je pars du principe, répond-il d’un air beaucoup trop sérieux pour être honnête, que si on a survécu à Noël dans ces conditions, on peut survivre à tout. » Il lui adresse un petit clin d’œil puis hausse les épaules, esquissant un petit mouvement de menton en direction de la porte que Shade a refermée derrière elle. « Et puis... reprend-il avec philosophie, un petit sourire tendre au coin des lèvres, cette fois-ci, on a tout de même un certain nombre de cartes dans notre manche pour faire diversion, tu ne crois pas ? ». Entre Keziah, Shade, Scott, Mercy et la pléthore d’invités qui ne tarderont pas, d’ici quelques heures, à inonder la plage de leurs rires, ils auront probablement mille et une occasions d’éviter les potentiels conflits de la trempe de ceux qui ont bien failli avoir lieu aux fêtes de fin d’année, ou... d’en provoquer d’autres ? Après tout, plus de monde ne signifie-t-il pas aussi plus de chance que quelque chose parte en sucettes ?

Jaden esquisse une petite moue et secoue la tête. Non. Il a décidé, aujourd’hui plus encore que d’ordinaire, de vivre dans un monde de Bisounours. Mieux vaut donc ne pas penser à cette éventualité-là. Ça n’est pas l’important. L’important c’est eux. Et c’est aujourd’hui. « Tout ira bien, ajoute-t-il donc d’un ton assuré, en se penchant pour déposer un baiser sur le front de sa fiancée, à partir du moment où les mariés se pointent à l’heure, et correctement habillés. » Il lui taquine le bout du nez de son index, puis baisse les yeux et pointe du doigt en direction du noeud papillon défait autour de son cou. « Tu m’aides ? »